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- DECLARATIONS ET TEXTES DE MIKHAIL KHODORKOVSKY -
31.5.05

Déclaration de Mikhail Khodorkovsky à l'issue du procès

Malgré l’absence évidente d’indices de ma culpabilité, malgré les nombreuses preuves indiquant au contraire que je n’ai rien à voir avec quelque délit que ce soit, le tribunal a décidé de m’envoyer dans les camps.

Je n’ai pas l’intention de critiquer sévèrement Mme le Juge Irina Kolesnikova. J’imagine aisément quelles pressions elle a dû subir de la part de ceux qui sont à l’origine de « l’affaire Ioukos » lorsqu’elle rédigeait ce verdict. Des dizaines de hauts fonctionnaires, ou même simplement d’intermédiaires intéressés dans l’affaire, étaient prêts à offrir n’importe quelle somme au tribunal pour m’expédier à coup sûr en Sibérie.

Mais ce n’est pas Madame Kolesnikova le problème. Le problème est que le pouvoir judiciaire en Russie s’est transformé en simple accessoire, en instrument docile de l’exécutif. Où plus exactement, non pas en instrument de l’exécutif, mais en agent de défense des intérêts de quelques clans économiques quasi maffieux.

Aujourd’hui, des millions de nos concitoyens ont compris que malgré les déclarations des dirigeants du pays sur la nécessité de renforcer la Justice, il n’y a rien à espérer de ce côté là. C’est la honte et le malheur de notre pays.

Je ne me reconnais pas coupable et j’estime que mon innocence est prouvée. C’est pourquoi je vais faire appel du verdict prononcé aujourd’hui contre moi. C’est pour moi une question de principe que d’obtenir la vérité et la justice dans mon propre pays.

Je sais que l’issue de mon procès s’est décidée au Kremlin. Certains dans l’entourage du président ont insisté sur le fait que seul un non-lieu pouvait rendre au pouvoir la confiance de la société. D’autres ont fait valoir qu’il fallait me « mettre à l’ombre » pour longtemps afin de m’ôter le goût de la vie, de la liberté et de la lutte.

Je veux remercier les premiers et signaler aux seconds qu’ils ont manqué leur but. Il ne leur est pas donné de comprendre que la liberté est un état intérieur de l’homme. Mes ennemis, qui voient dans leurs cauchemars un Khodorkovski assoiffé de vengeance, se sont condamnés eux-mêmes à trembler toute leur vie durant sur les actifs confisqués de Ioukos. Ce sont eux qui ne sont pas libres dans leur fort intérieur. Leur existence misérable, voilà la véritable prison.

Quant à moi, j’ai pleinement le droit de dire ce que je pense et d’agir comme bon me semble, sans faire superviser mes projets par un quelconque tuteur.

Aussi mon lieu de vie à partir d’aujourd’hui – c’est le territoire de la liberté. Les prisonniers, ce sont ceux qui restent les esclaves du système, ceux qui sont contraints de s’humilier, de mentir, de faire semblant afin de conserver leurs revenus et leur place dans cette peu recommandable société.

Je vais continuer à m’occuper de projets d’intérêt public, j’ai l’intention de créer un certain nombre d’organisations philanthropiques, et en particulier un fond de soutien à la poésie russe, à la philosophie russe, ainsi qu’une Ligue d’aide aux détenus. Je continue à prendre une part active aux programmes de « Russie Ouverte »[1]. Prochainement je tiendrai une conférence de presse à distance, lors de laquelle je rendrai compte des premiers pas accomplis. Ce sera le premier exemple de conférence de presse en prison de la période post-soviétique.

Je ne dispose plus de moyens financiers considérables, mais il y a revanche de nombreuses personnes disposées à financer des programmes placés sous ma direction.

Je veux remercier chaleureusement tous ceux qui sont présents aujourd’hui dans cette salle et autour du tribunal, tous ceux qui m’ont soutenu durant ces dix-huit mois. Vous êtes les gens honnêtes et courageux de Russie.

Je déclare en toute responsabilité que vous pourrez toujours compter sur moi. Bien qu’il ne me reste plus de grandes richesses, ensemble nous pouvons faire beaucoup.

Je veux exprimer ma reconnaissance toute particulière aux dizaines de milliers de simples habitants de Russie, de différentes régions, qui m’ont soutenu par leurs lettres. Depuis ma prison j’ai pu me rendre compte une fois de plus que le peuple russe n’est pas un troupeau obéissant d’imbéciles, comme semblent le croire certains idéologues proches du pouvoir. Mais un peuple épris de justice et d’honneur.

Je vais travailler avec ceux qui veulent et peuvent parler ouvertement du pays, du peuple, de notre présent et de notre avenir commun. Je vais me battre pour la liberté – la mienne, celle de Platon Lebedev, de mes autres amis, de toute la Russie. Et surtout – des générations suivantes, de ceux à qui appartiendra notre pays dans quelques années. Mon destin doit être pour eux une leçon et un exemple.

Merci à ma famille. Elle a été et reste mon appui maintenant et pour toujours. Cela prendra peut-être de nombreuses années, mais je sortirai un jour de derrière les barbelés et je rentrerai à la maison. J’en suis sûr comme je n’ai jamais été sûr de quelque chose dans ma vie.

Même si des années de prison m’attendent, j’éprouve tout de même un immense soulagement. Il n’y a désormais plus rien dans ma vie de superflu, de fortuit, de superficiel. L’avenir me paraît lumineux, et pur l’air de la Russie future.

J’ai perdu ma place dans le club des oligarques, mais j’ai gagné un nombre immense d’amis fidèles et dévoués. J’ai retrouvé le sentiment d’unité avec mon pays. Je suis à présent avec mon peuple, et nous allons supporter et vaincre ensemble.

Ne désespérez pas. La vérité finit toujours par triompher. Tôt ou tard.

______________

[1] ONG crée et financée par Mikhail Khodorkovski, travaillant dans le domaine de l’éducation et des droits de l’homme (NdT)

Traduit par L'Observatrice
Publié par L'Observatrice à 00:00 Edit
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