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- DECLARATIONS ET TEXTES DE MIKHAIL KHODORKOVSKY -
1.11.05

"L'espoir derrière les barreaux"

Cet entretien a été réalisé par Grégory Rayko, adjoint à la rédactrice en chef de la revue "Politique Internationale", et publié dans le numéro de novembre 2005.

Cet entretien est exceptionnel. Détenu depuis près de deux ans à la prison moscovite de la Matrosskaia Tichina, Mikhaïl Khodorkovski, qui doit encore purger une peine de six années (1), a choisi Politique Internationale pour évoquer l’état de santé de son pays, critiquer le fonctionnement du régime poutinien et exposer sa vision de l’avenir.

Pour des raisons que l’on comprendra aisément, celui qui a longtemps été l’homme le plus riche de Russie a préféré ne pas évoquer son arrestation et son procès, dont l’appel était en cours au moment où nous l’avons interviewé (au final, sa condamnation initiale à neuf à huit ans de prison). En revanche, c’est avec une grande liberté de ton et une détermination nullement entamée qu’il parle de la Russie. Une Russie, explique-t-il, qui est littéralement gangrenée par une bureaucratie parasitaire et parfaitement indifférente aux problèmes du peuple. Et l’oligarque déchu d’appeler sans complexes, du fond de sa cellule, à un changement de régime…

L’histoire de cet homme hors du commun est symptomatique de l’évolution que le pays a connue au cours de ces vingt dernières années. Né en 1963 à Moscou dans une famille d’ingénieurs, c’est tout naturellement qu’il intègre, à l’adolescence, les Jeunesses communistes (le fameux Komsomol). Au milieu des années 1980, alors que Mikhaïl Gorbatchev arrive aux affaires, le jeune Khodorkovski devient l’un des responsable d’une section locale du Komsomol. Ses études d’économie lui seront plus utiles que son diplôme de chimiste : dès 1986, profitant des premières brèches qui viennent de s’ouvrir dans le monopole d’État sur la propriété privée, il fonde une petite coopérative qui importe des ordinateurs américains. L’affaire prospère. En 1989, le jeune businessman ouvre sa propre banque, Menatep. L’année suivante, l’URSS disparaît et le premier gouvernement de la Russie indépendante met en place une “ thérapie de choc ” qui provoquera la paupérisation d’une grande partie de la population… mais qui offrira également une occasion rêvée de s’enrichir aux nouveaux hommes d’affaires.

Fort de ses liens — dont certains avaient été établis dès l’époque du Komsomol — avec les apparatchiks au pouvoir, le banquier effectue une carrière fulgurante. En 1993, à peine âgé de 30 ans, il fait même un passage éphémère au poste de vice-ministre de l’Énergie et des Combustibles. Une fonction qui lui permet de renforcer encore ses amitiés avec l’élite politique et le monde des affaires.

Deux ans plus tard, il prend une nouvelle dimension : au moment de la privatisation des grands groupes d’État, sa banque rachète pour une bouchée de pain — 450 millions de dollars — 44 % des actions de Ioukos, l’un des fleurons de l’industrie pétrolière russe. Au moment de cette acquisition, la compagnie est lestée de 3 milliards de dollars de dettes. De plus, elle doit honorer des accords extrêmement défavorables passés avec divers intermédiaires qui prospèrent sur ce marché florissant. Au cours des années suivantes, Khodorkovski parvient à obtenir un bloc de contrôle sur l’entreprise. Il augmente les actifs pétroliers de Youkos, notamment en achetant la Compagnie pétrolière de l’Est, pour 1,4 milliards de dollars. Sa gestion efficace, conjuguée à l’envol des prix de l’or noir, multiplient la capitalisation de Youkos (à la veille de l’arrestation de son président, en octobre 2003, la compagnie était estimée à 40 milliards de dollars).

De “ nouveau russe ”, Khodorkovski devient oligarque, aux côtés de plusieurs autres jeunes capitalistes aux dents longues, comme Boris Berezovski, Vladimir Goussinski, Roman Abramovitch ou encore Oleg Deripaska.

Même si, dans le contexte anarchique de la Russie des années 1990, il n’hésite pas à recourir à divers expédients pour soustraire son empire aux convoitises du fisc, le magnat ne se contente pas de gérer son immense fortune au mieux de ses intérêts. Progressivement, il prend conscience de la nécessité de faire entrer le business russe dans une nouvelle ère. Dans un marché pétrolier mondialisé, Youkos ne peut attirer les investisseurs étrangers qu’en jouant la carte de la transparence. Khodorkovski engage alors dans sa compagnie des managers occidentaux, affiche ouvertement ses comptes et va jusqu’à passer des accords avec des géants étrangers, comme Exxon Mobil. Il s’engage également dans plusieurs projets philanthropiques, notamment éducatifs. Surtout, il se fait l’avocat d’une modernisation radicale de l’économie russe et ne dissimule guère son hostilité envers Vladimir Poutine qui a succédé, au début de l’année 2000, à Boris Eltsine.

Le nouveau président a amené au sommet, dans son sillage, une pléiade d’hommes ambitieux issus comme lui des services de sécurité, qui lorgnent avec appétit les immenses richesses des oligarques. Poutine, quant à lui, souhaite raffermir un État affaibli à l’époque de son prédécesseur. La reprise en main de l’économie est décrétée. Les oligarques récalcitrants sont rapidement remis au pas. Berezovski et Goussinski, trop gênants, doivent s’exiler tandis que les autres font allégeance au nouveau système. Ils ne seront guère inquiétés. Seul Khodorkovski résiste. Il en paiera le prix.

Petit à petit, le Kremlin et l’homme le plus riche du pays entrent dans une confrontation ouverte — si ouverte que, à quelques mois des élections législatives de décembre 2003, le patron de Youkos se permet d’annoncer qu’il soutient financièrement des partis opposés au pouvoir : les démocrates de Iabloko et du SPS. De plus, il accuse ouvertement la compagnie d’État Rosneft de corruption. Et des bruits courent sur son éventuelle candidature à la présidentielle de mars 2004…

C’en est trop pour Moscou. Le 25 octobre 2003, sur un petit aéroport de Novossibirsk, Khodorkovski est arrêté, à bord de son jet privé. Il est immédiatement incarcéré sous les chefs d’inculpation de fraude fiscale et d’escroquerie à grande échelle. Cinq jours plus tard, 44 % des actifs de Youkos sont mis sous séquestre. Ce n’est que le début. Le géant pétrolier doit rembourser à l’État 28 milliards de dollars d’arriérés d’impôts ! Une facture que la société — dont Khodorkovski démissionne immédiatement après son arrestation, espérant ainsi la sauver— conteste vigoureusement devant les tribunaux. En vain. Au cours des deux années suivantes, Youkos subit un démantèlement en règle au bénéfice des principales compagnies d’État, au premier rang desquelles… Rosneft. Et en mai 2005, après un procès harassant, Khodorkovski et son associé Platon Lebedev sont tous deux condamnés à neuf ans d’emprisonnement (une peine qui, nous l’avons dit, sera réduite à huit ans à l’occasion du jugement d’appel de septembre).

Mais l’homme d’affaires, même dépossédé de son empire, ne s’avoue pas vaincu. Il fait appel et lance toutes ses forces dans la bataille judiciaire. L’Occident s’émeut de son sort, interprété comme la preuve que la propriété privée est de nouveau en danger en Russie. Son procès, comme son jugement en appel, font les unes de tous les journaux du monde — surtout quand, cet automne, Khodorkovski effectue une grève de la faim de plusieurs jours pour protester contre les conditions d’incarcération auxquelles est soumis son ami Lebedev.

Défenseur pugnace de sa propre cause, excellent orateur, critique avisé du régime, Mikhaïl Khodorkovski, bien qu’embastillé, demeure une épine dans le pied de Vladimir Poutine. Narguant les autorités, il s’est même porté candidat à une élection partielle à la Douma — dans l’une des circonscriptions de Moscou — qui aura lieu le 4 décembre. La loi le lui permettait aussi longtemps que sa sentence d’emprisonnement n’avait pas été confirmée en appel. C’est l’une des raisons, accusent ses avocats, pour lesquelles son jugement d’appel a été mené tambour battant : il fallait en finir rapidement avec ce détenu gênant. D’après une enquête menée début septembre par l’institut indépendant du célèbre chercheur Youri Levada (2), il pouvait espérer rallier 28 % des voix — alors que le député sortant avait été élu avec seulement 27 % des suffrages…

Si la majorité de la population russe ne lui est pas instinctivement favorable — pas plus qu’elle ne l’est à l’égard de tous les oligarques —, ses idées, elles, font leur chemin. C’est, en tout cas, un homme résolu et nullement abattu qui lance dans ces pages un appel vibrant à ne jamais baisser les bras face à l’arbitraire du pouvoir.

Grégory Rayko


Grégory Rayko — Vous appelez de vos vœux une évolution démocratique de la Russie. Or il ne saurait y avoir de démocratie sans véritable société civile. Estimez-vous que cette société civile existe dans votre pays ? Vos concitoyens sont-ils prêts à s’engager dans les affaires publiques ?

Mikhaïl Khodorkovski — Bien sûr qu’ils sont prêts ! Je n’aime pas du tout l’idée selon laquelle les Russes seraient inaptes à la politique. Dois-je vous rappeler que ce sont précisément les citoyens russes qui ont sauvé le pays au début du XVIIè siècle, alors qu’il se trouvait sur le point de disparaître (3) ? Et n’oubliez pas ce qui s’est passé en août 1991. Quoi que l’on pense du tremblement de terre géopolitique qui s’ensuivit — le démantèlement de l’URSS —, il faut bien admettre que c’est le sursaut citoyen des Russes qui a mis en échec le putsch des conservateurs (4).

Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui la société civile proprement dite est seulement en train de se former. Mais elle se développe bien plus rapidement que le Kremlin le souhaiterait. Mon cas personnel en offre un bon exemple : à l’occasion de mon procès, des centaines de personnes, jeunes et beaucoup moins jeunes, habitant aux quatre coins du pays, se sont rendues à Moscou pour m’apporter leur soutien. Pour ces gens, ce voyage, effectué à leurs propres frais, n’avait rien d’une lubie. Ils l’ont effectué car leurs convictions leur disaient que c’était la bonne chose à faire, en dépit des risques qu’ils encouraient et des menaces directes dont ils faisaient l’objet. Ces citoyens étaient persuadés que, pour l’avenir de la Russie, pour leurs propres enfants, il était nécessaire que leur voix se fasse entendre. Et ce n’est pas tout. Savez-vous combien de lettres je reçois à mon centre de presse (5) et directement ici, en prison ? Plusieurs milliers par mois ! Et cela, alors même que ceux qui m’écrivent savent bien que leurs missives sont attentivement étudiées par les autorités et que chaque individu qui entre en relation avec ce détenu “ subversif ” que je suis risque fort d’être fiché.

À mon sens, une société civile apparaît lorsque les citoyens commencent à exprimer leur point de vue à la première personne, lorsqu’ils se permettent de dire : “ Je pense ”, “ je sais ”, “ je m’engage à agir ”. Et c’est bel et bien ce à quoi l’on assiste.

G. R. — Selon vous, la construction de cette société civile peut-elle encore être remise en question ?

M. K. — Malheureusement, oui. Si, dans les années à venir, de véritables infrastructures permettant à cette société civile de fonctionner ne sont pas mises en place, alors nous risquons tout simplement de perdre la génération suivante. Les meilleurs cerveaux quitteront la Russie, pour la bonne raison que des personnes intelligentes, talentueuses et ambitieuses refuseront de vivre dans un pays soumis à l’arbitraire bureaucratique actuel.

Aujourd’hui, le pouvoir ne pense qu’à une seule chose : comment continuer de se nourrir sur le dos de ce pays généreux et ne jamais être tenu responsable pour quoi que ce soit ? Il faut bien le comprendre : le système poutinien exclut, par définition, toute ascension sociale. Ce que ce système veut, c’est des exécutants obéissants, et non des créateurs. C’est pourquoi, aussi longtemps qu’elle sera dirigée par un tel régime, la Russie ne connaîtra aucun progrès réel. Le Kremlin se contente de freiner les tendances centrifuges qui pourraient déboucher sur une désintégration rapide de la Fédération, tout en limitant autant que possible les activités civiques des habitants. En réalité, l’élite au pouvoir ne se préoccupe guère de ce qu’il adviendra de la Russie à moyen et à long termes.

G. R. — Que faudrait-il pour que la Russie connaisse ce “ progrès réel ” que vous avez mentionné ?

M. K. — Aucun progrès significatif ne sera possible sans un changement du modèle selon lequel l’État russe fonctionne. Aujourd’hui, absolument tout — de l’armée aux chemins de fer, du calendrier des jours fériés au système pénitentiaire — dépend des goûts, de l’humeur, des complexes et des lubies d’un seul homme. Il suffit de regarder qui occupe les positions clés du pouvoir : il n’y à là que des hommes issus du sérail poutinien, des hommes qui exécutent les décisions du Kremlin sans aucun état d’âme.

G. R. — Quel système préconisez-vous ?

M. K. — Ce qu’il nous faut, c’est une République mi-parlementaire, mi-présidentielle. Dans un tel modèle d’État, le président doit être le garant de l’unité du pays, diriger les structures régaliennes et déterminer les orientations principales de la politique étrangère. Mais les questions socio-économiques, elles, doivent relever de la compétence du gouvernement, lequel ne peut qu’être issu de la majorité parlementaire, c’est-à-dire des partis qui auront triomphé aux élections législatives.

Par surcroît, il faut revenir à un vrai fédéralisme. J’estime qu’il est nécessaire d’augmenter les prérogatives des autorités locales ; et le meilleur moyen d’y parvenir, c’est de commencer par rétablir l’élection au suffrage universel des dirigeants régionaux (6). Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra former une nouvelle élite régionale responsable. En l’absence de telles élites, la renaissance et le développement des sujets de la Fédération, particulièrement de la Sibérie et de l’Extrême-Orient, me semblent impossibles. Pour une raison simple : seul un homme véritablement “ attaché à la terre ” peut s’occuper efficacement du développement à long terme de sa région. Un bureaucrate parachuté depuis Moscou pour quelques années n’aura généralement aucune autre ambition que de se remplir les poches. Il ne crée rien du tout. Il se contente de dépenser le budget local et d’exécuter sans rechigner tous les ordres venus d’“ en haut ”, sans se soucier le moins du monde de prendre les mesures qu’exige la situation. Pis : lorsque les protestations suscitées par son comportement irresponsable sont trop fortes, il est perçu, à juste titre, comme étant la marionnette du Kremlin. Le mécontentement qu’il provoque est ipso facto répercuté vers le centre, vers le pouvoir fédéral et, finalement, c’est l’État russe lui-même qui se trouve discrédité. Ce qui contribue à détruire le pays.

Je suis persuadé que si un tel modèle à la fois présidentiel et parlementaire est instauré, une nouvelle élite politique pourra y trouver sa place. Et cette nouvelle élite pourra définir le cap selon lequel la Russie se développera au cours des vingt, voire des cinquante années à venir.

G. R. — À ce propos, que pensez-vous des partis d’opposition russes ?

M. K. — On constate aujourd’hui, en Russie, une crise profonde de l’opposition de toutes obédiences. Cette crise est due au fait que les principaux partis d’opposition sont dirigés non pas par des hommes politiques, mais par des individus que je qualifierais de “ businessmen de la politique ”. Ces prétendus opposants sont de purs produits du système. En réalité, ils n’aspirent nullement à accéder au pouvoir. S’ils prétendent incarner une voie alternative à celle de Poutine, c’est seulement pour abandonner toute prétention politique le moment venu en échange d’une quelconque faveur du Kremlin. Je regrette de devoir reconnaître que c’est à ce modèle — dont le père fondateur est le leader du Parti libéral-démocrate de Russie, Vladimir Jirinovski — qu’obéissent les partis dits d’“ opposition ”.

C’est pourquoi lorsque je parle de modernisation des élites, je pense en particulier à la modernisation des formations d’opposition et à l’arrivée, à leur tête, de nouveaux dirigeants qui seraient parfaitement indépendants de la machine du pouvoir. J’estime que des hommes qui ne peuvent pas se passer d’une Mercedes, d’un laissez-passer spécial, d’une datcha de fonction et d’autres prébendes que l’administration présidentielle distribue généreusement à ses soi-disant adversaires ne peuvent pas prétendre incarner une véritable opposition. De tels hommes ne seraient pas prêts à aller jusqu’au bout de leur engagement et à entrer en confrontation ouverte avec les autorités.

Bien sûr, ce jugement ne concerne pas tous les membres de l’opposition. Il n’en demeure pas moins que la communauté des rivaux nominaux du maître du Kremlin est tout autant contaminée par le cynisme et l’irresponsabilité que le pouvoir lui-même. Des bureaucrates qui se disent “ ennemis farouches de la direction actuelle ” sont confortablement installés dans les sièges de la Douma depuis des lustres ! Voilà longtemps qu’ils ont perdu tout contact avec les millions de simples citoyens qui exigent de vrais changements dans la politique intérieure et ne souhaitent pas se contenter de déclarations du genre : “ Nous aimerions faire évoluer le pays, mais le méchant pouvoir ne nous le permet pas. ”

G. R. — Vous vous montrez très critique à l’égard des partis d’opposition. Y en a-t-il tout de même certains que vous considérez comme étant plus “ sérieux ” que les autres ?

M. K. — Je pense que le plus grand potentiel d’opposition se trouve aujourd’hui sur le flanc gauche de notre scène politique, où évoluent des formations comme le Parti communiste ou “ Rodina ” (7). Le flanc droit, pour sa part, est désagrégé. Les partis qui sont traditionnellement considérés comme étant “ de droite ” (8) ne parviennent pas à réunir suffisamment de partisans pour espérer défier le Kremlin. J’ai utilisé les termes “ gauche ” et “ droite ” mais j’aimerais souligner que ce sont des notions très difficiles à manier dans le contexte russe ; je préfère d’ailleurs parler de partis et d’idéaux “ sociaux ”, “ patriotiques ” et “ démocratiques ” par opposition à “ cupides ”, “ autoritaires ” et “ irresponsables ”.

G. R. — Ces partis que vous venez de citer peuvent-ils remporter, un jour, les élections ?

M. K. — Pour que l’opposition puisse gagner des élections, il y a une condition sine qua non : les élections doivent être libres. Or les scrutins qui ont eu lieu en Russie ces derniers temps n’ont été rien d’autre que des bouffonneries dans la plus pure tradition de la “ démocratie populaire ” soviétique.

Par surcroît, il faut des leaders qui désirent parvenir au pouvoir non pas dans le but d’accéder aux miettes du festin pétrolier du Kremlin, mais parce qu’ils souhaitent servir réellement le peuple.

J’ajoute qu’un pouvoir post-poutinien ne sera légitime et stable qu’à une seule condition : que les cercles que je qualifierais de “ libéraux sur un plan économique et de gauche sur un plan social ” prennent une part prépondérante dans sa mise en place. Les futurs leaders de ce pouvoir devront se faire les porteurs des espoirs de la partie active et éduquée de la société russe. Or ces espoirs portent à la fois sur une plus grande justice sociale et sur la mise en place d’une économie de marché réelle. Ces objectifs, comme vous le savez, sont défendus par des partis politiques de tous bords. C’est pourquoi il me semble très probable que le pouvoir post-poutinien sera une coalition. Qu’est-ce qui pourrait assembler des forces hétéroclites en une coalition unie ? Eh bien, ce sera l’opposition à la corporation bureaucratique irresponsable qui est en poste actuellement. Cette corporation a paralysé le Kremlin et toute la structure politique de la société. Elle vit des ressources naturelles du pays comme un gigantesque parasite. Et elle ne se soucie guère de mettre en avant une quelconque stratégie, sans même parler d’un programme de développement national.

G. R. — Pourquoi êtes-vous aussi certain que les idées “ libérales et de gauche ” que vous avez évoquées devront forcément se trouver à l’origine du prochain pouvoir russe ?

M. K. — Je pense que toutes les conditions sont réunies pour un “ virage à gauche ” (9). Je dirais même qu’un tel virage est inévitable, quels que soient les efforts entrepris par le pouvoir pour le contrecarrer. La société se développe et, naturellement, les sympathies des électeurs se portent successivement sur divers partis. Mais je suis persuadé que les idéaux qui sont en train de s’imposer sont les idéaux sociaux-démocrates.

Comme vous le savez, ce virage indispensable aurait déjà dû s’opérer en 1996, quand le candidat du Parti communiste était censé remporter l’élection présidentielle (10). À l’époque, le pouvoir de Boris Eltsine avait finalement réussi à perdurer en mobilisant toutes ses ressources. Ce qui a porté un coup terrible au processus démocratique du pays (11).

Mais ce n’est que partie remise. La politique économique actuelle du Kremlin renforce inéluctablement les sentiments de gauche dans la population. En effet, comme je l’ai déjà dit, cette politique est conduite au plus grand mépris des intérêts et des desiderata du peuple russe. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que le mécontentement grandisse !

G. R. — Concrètement, qu’est-ce que le peuple reproche au pouvoir ?

M. K. — Les raisons de ce mécontentement sont multiples. Retraites, santé, éducation... Dans tous ces domaines, les autorités font trop peu pour la population.

Personne ne peut — et ne pourra jamais — expliquer aux citoyens pourquoi, alors que le budget de l’État est largement excédentaire, que la Banque centrale dispose de gigantesques réserves d’or et de devises, et que la Russie possède un fonds de stabilisation (12) qui s’élève à plusieurs milliards de dollars... la pension de retraite minimale reste inférieure au seuil de pauvreté !

Dans un tel contexte financier — avec, par surcroît, un baril de pétrole dont le prix est au plus haut, nul ne peut penser sérieusement que si l’État garantissait à ses administrés un suivi médical gratuit, rénovait les hôpitaux et fournissait gracieusement des médicaments aux plus pauvres, il s’ensuivrait une explosion de l’inflation !

Autre mystère : pourquoi l’État ne se donne-t-il pas pour priorité de rendre l’enseignement supérieur accessible au plus grand nombre ? Et pourquoi n’investit-il pas dans l’amélioration de l’enseignement dispensé dans les collèges et les lycées ? Pourquoi ne livre-t-il pas aux établissements d’éducation un matériel moderne ?

Bref : Pourquoi les allocations sociales sont-elles aussi faibles, pourquoi les équipements publics sont-ils si vétustes, pourquoi est-il si difficile d’obtenir gratuitement un bon enseignement ? Des mesures qui résoudraient ces problèmes auraient-elles de terribles répercussions macro-économiques sur un pays qui engrange, chaque année, une rente pétrolière faramineuse ? Le gouvernement n’apporte aucune réponse à ces interrogations légitimes. L’opposition, si.

Je dirais même que la future coalition d’opposition n’a pas à faire d’efforts particuliers pour se constituer : par sa politique absurde et impopulaire, le Kremlin lui-même est en train de l’aider à se former, en dressant contre lui toutes les personnes de bonne volonté, “ de gauche ” comme “ de droite ”.

G. R. — Vous avez mentionné la rente pétrolière. Justement, l’économie russe repose presque exclusivement sur l’exploitation des ressources naturelles. N’est-ce pas risqué ?

M. K. — Ce n’est pas seulement “ risqué ”. À moyen terme, c’est parfaitement suicidaire ! Si la Russie continue à suivre un développement économique fondé sur l’exploitation des matières premières et sur l’industrie lourde, elle ira droit dans le mur. Et elle n’atteindra jamais un niveau de vie comparable à la moyenne européenne. Elle ne réussira même pas à doubler sa production actuelle. D’ailleurs, certains membres du gouvernement admettent honnêtement ce dernier point, mais ils se gardent bien d’expliquer les vraies raisons de cette stagnation.

G. R. — Quelles sont ces raisons ?

M. K. — L’explication principale, j’y reviens, c’est notre modèle d’État. La “ verticale du pouvoir ” dont le Kremlin est si fier n’est que le fantôme de ce que devrait être une vraie administration soucieuse du bien commun. Cette “ verticale ” est composée de fonctionnaires irresponsables et corrompus. Il faut bien le comprendre : il s’agit d’individus qui ne savent que “ se nourrir sur la bête ”. Comme je vous l’ai dit, ce sont des parasites qui se servent abondamment et puisent dans les ressources qu’ils sont censés gérer au mieux des intérêts de la collectivité. Leur omniprésence bloque tout développement et toute mobilité ; elle conduit à l’immobilisme et à la dégénérescence. Si nous ne nous débarrassons pas de cette “ verticale du pouvoir ”, le pays poursuivra son chemin inéluctable vers la décadence.

G. R. — Vous peignez un tableau très sombre de la situation… Pourtant, les indicateurs économiques russes semblent bons. La croissance n’a-t-elle pas été assez élevée au cours de ces dernières années ?

M. K. — À mon sens, il s’agit d’un trompe-l’œil. J’aimerais, pour ma part, souligner quatre problèmes très importants à moyen et à long termes, que j’attribue à notre système politico-économique :

1) Même si tout le monde s’accorde à penser qu’il est absolument indispensable de développer aussi rapidement que possible les petites et moyennes entreprises — qui sont le véritable moteur des économies post-industrielles —, le “ petit business ” se trouve dans un état proche de l’agonie.

2) La croissance économique — qui a été de 7 % en 2004 mais dont je tiens à souligner qu’elle est 2 à 2,5 fois inférieure à ce qu’elle pourrait être si le pays était mieux géré — est due non pas à la production de biens à forte valeur ajoutée ou à des progrès techniques, mais uniquement à la hausse des prix des matières premières, un élément sur lequel le gouvernement n’a aucune prise.

3) Malgré toutes les déclarations d’intention du pouvoir et malgré toutes les possibilités dont la Russie dispose en théorie, l’argent et, surtout, les jeunes gens talentueux quittent le pays en masse. Leur patrie ne leur offre aucune véritable perspective. Or ils sont capables de réaliser leur potentiel dans les domaines utilisant les technologies de pointe. Rien d’étonnant, dès lors, qu’ils s’installent à l’étranger et que la Russie continue d’être à la traîne en matière d’innovation.

4) Alors que le budget de l’État est largement excédentaire, il est de plus en plus difficile pour nos étudiants d’obtenir un enseignement supérieur gratuit ; de plus, le nombre de postes de scientifiques est en baisse constante. De nombreux talents restent donc inutilisés…

G. R. — Malgré tout, les matières premières et l’industrie lourde assurent à la Russie une rente confortable…

M. K. — Je ne suis pas d’accord. Même si les prix du pétrole demeurent à un niveau extrêmement élevé, l’“ économie des tuyaux ” — c’est-à-dire celle qui est fondée sur l’extraction et la vente du pétrole et du gaz — ne peut guère apporter au pays plus de 300 milliards de dollars de PIB par an.

Quant à notre production industrielle, elle ne peut, dans le meilleur des cas, nous garantir que 700 milliards de dollars chaque année. Et encore, pour cela, il faudrait qu’elle puisse concurrencer l’industrie chinoise — ce qui ne sera possible que si la Russie baisse ses dépenses de production (notamment les salaires), alors que, dans l’absolu, c’est grâce à des innovations technologiques que nous devrions rester compétitifs.

Bref, notre plafond “ industriel ” représente un trillion de dollars par an de PIB. Si les prix des matières premières baissent et le “ marais ” bureaucratique continue de se développer, ce qui est fort probable, notre PIB maximal ne sera guère supérieur à 600-700 milliards de dollars par an. Une telle somme serait à peine supérieure à notre PIB actuel, qui a été de 600 milliards de dollars en 2004. Ce chiffre représente 4 000 dollars par habitant et par an. Au mieux, on peut espérer qu’il passera à 7 000 dollars. Songez qu’en 2004 la petite Finlande a connu un PIB par habitant de… 30 000 dollars !

Et ce n’est pas tout. Il faut également tenir compte des frais de transport, qui absorbent près de 20 % de notre PIB ; en effet, l’expédition à l’Ouest du pays des matières premières que nous extrayons principalement en Sibérie coûte très cher. L’État engage également des frais disproportionnés dans le domaine militaire afin de défendre nos frontières instables. Quand on songe à tous ces éléments, on ne peut qu’être très pessimiste sur les perspectives de croissance d’une telle économie…

G. R. — Qu’est-ce qui empêche la Russie de mettre en place cette économie post-industrielle que vous appelez de vos vœux, une économie fondée sur les technologies de pointe, les innovations techniques et les petites et moyennes entreprises ?

M. K. — L’économie post-industrielle de la fin du XXè siècle et du début de ce XXIè siècle repose sur des collectifs de travail restreints, sur des personnalités créatives, sur la coopération internationale et sur la division internationale du travail. Pour qu’une telle économie puisse voir le jour dans notre pays, il faut que le système étatique le rende possible. Ce système doit permettre une prise de décisions rapide à chaque endroit du territoire national. Et ces décisions doivent reposer sur des règles du jeu identiques pour tous, des règles adaptées à la fois aux particularités de chaque région et aux caractéristiques des acteurs en présence. Bref, c’est tout simple : le pouvoir doit concilier les intérêts réels des individus, du gouvernement et de la société. J’insiste sur le mot “ réel ” : il ne faut plus se contenter de déclarations de principe !

Par surcroît, ces décisions doivent être contrôlables sur place ; il faut aussi que la majorité les considère comme justes, mais que, dans le même temps, elles ne négligent pas les intérêts de la minorité.

Pouvez-vous imaginer qu’un bureaucrate appartenant à cette fameuse “ verticale du pouvoir ” chère à notre président travaille ainsi ? Moi, non. Pour un pays aussi grand que le nôtre, doté d’une économie aussi complexe, le système actuel est une aberration.

G. R. — C’est donc à cause de la nature du système que l’économie russe vit sur ses acquis ?

M. K. — Exactement. Comment la “ verticale ” se comporte-t-elle ? C’est très simple. Quand une question se pose au niveau local, le représentant du pouvoir essaye d’abord d’en profiter pour s’enrichir personnellement. Si ce n’est pas possible, alors il se dédouane de toute responsabilité pour la suite des événements et renvoie le règlement du problème “ en haut ” en se drapant dans les instructions générales qu’il reçoit. Or les innovations comportent toujours une prise de risque. Chaque innovation est réalisée “ à l’encontre des instructions ” !

Quant aux petites et moyennes entreprises, elles ne peuvent pas compter sur le fait que le pouvoir tiendra compte de leurs besoins, ne serait-ce que parce que la machine bureaucratique évolue bien plus lentement que les entrepreneurs.

Et, bien sûr, il est proprement inimaginable que la “ verticale ” confie aux bureaucrates locaux le pouvoir de prendre des décisions réelles. Ces bureaucrates sont les derniers maillons d’une chaîne interminable. Voués à eux-mêmes, il faudrait que ces hommes soient des saints pour résister à toutes les tentations qui s’offrent à eux ! Si le pouvoir les maintient sous son contrôle, ils continueront de voler le pays à petite échelle et de renvoyer vers le centre tous les problèmes réels…

C’est là le paradoxe inéluctable de la “ verticale ” poutinienne : dans un tel système, soit le dirigeant local prend une décision dictée uniquement par sa propre cupidité ; soit il ne prend aucune décision et le problème qu’il est censé régler reste à jamais coincé dans les méandres de la bureaucratie. Je le répète : tel est le modèle administratif qui gouverne la Russie de nos jours. Vous conviendrez que c’est invivable…

G. R. — Quelle est votre vision de la politique étrangère de Moscou ? La Russie doit-elle tout faire pour conserver un statut de puissance mondiale ou, du moins, de puissance régionale ?

M. K. — Nous devons nous montrer raisonnables. Aujourd’hui, la Russie n’a pas les moyens d’être une puissance globale. À l’heure actuelle, le club des superpuissances est composé d’un seul pays : les États-Unis. Tôt ou tard, ce club s’élargira pour accueillir la Chine, en pleine expansion. Mais la Russie n’y a plus sa place.

En revanche, elle peut très bien être une puissance régionale et jouer un rôle central dans tout l’espace post-soviétique. Dans le même temps, pourquoi ne serait-elle pas le leader politique et intellectuel d’un groupe de pays qui ne souhaitent se ranger ni dans le bloc américain, ni dans le bloc chinois ? Je l’imagine parfaitement prendre la tête d’une sorte de nouveau Mouvement des non-alignés. De toute façon, il appartient à la prochaine génération de l’élite russe de répondre à toutes ces questions. L’élite actuelle, elle, ne raisonne pas en termes géopolitiques.

G. R. — Cette future élite devra-t-elle, selon vous, s’opposer clairement à l’Otan et à l’Union européenne ? Ou bien estimez-vous au contraire que la Russie a vocation à intégrer ces organisations ?

M. K. — L’Europe est, bien évidemment, un partenaire historique et civilisationnel de la Russie. C’est pourquoi nous ne devons en aucun cas jouer les opposants à l’égard de la “ contrée des miracles sacrés ” — c’est ainsi que le penseur slavophile Alexeï Khomiakov (13) a qualifié la Vieille Europe. Il n’en reste pas moins qu’il n’est pas souhaitable de nourrir des illusions quant à notre éventuelle entrée dans l’UE. Cela ne se fera pas. La Russie est très bien là où elle est, en sa qualité historique naturelle de pays contrôlant le heartland, le système de communications entre l’Europe et l’Asie.

Quant à l’Otan, ma position est la suivante : oui à un partenariat amical, non à l’appartenance de la Russie à l’Alliance. D’ailleurs, je suis certain que l’Alliance elle-même ne désire guère compter dans ses rangs un pays qui possède une frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec la Chine. De plus, les intérêts géopolitiques de la Russie et de l’Otan peuvent parfois diverger, même s’ils ne doivent plus jamais s’opposer frontalement. Enfin, il est hors de question que notre pays abandonne son complexe militaro-industriel, qui demeure une partie intégrante de la pensée de nos scientifiques et de nos ingénieurs.

Mais toutes les réflexions que l’on peut mener sur la juste place géopolitique de la Russie n’ont de sens qu’à la condition que le pays connaisse un véritable développement à long terme. Pour être forts, nous devons effectuer une percée économique. Or, je n’hésite pas à le dire une fois de plus, cette percée n’est possible que si nous passons de l’“ économie des tuyaux ” à l’“ économie des connaissances ”. Bref, si nous devenons une économie post-industrielle. On pourra mesurer la renaissance de la Russie à son PIB : si cet indicateur est multiplié par 3,5 ou 4 — ce qui est tout à fait envisageable à condition que notre modèle de développement économique et notre système politique changent —, alors on pourra considérer que le pays est à nouveau une puissance. Bien entendu, une telle évolution est impossible si les élites ne connaissent pas une modernisation qualitative réelle. Notre pays doit être dirigé par une élite véritablement russe, et non par un leadership que l’on peut aisément qualifier de transitoire et “ post-soviétique ”.

Enfin, nous devons rétablir de nombreux éléments essentiels de l’État qui ont été considérablement détériorés. Ne serait-ce que l’armée. Aujourd’hui, nous ne disposons pas d’une vraie armée : nous avons seulement un débris de l’armée d’un autre État, l’URSS. Un débris pratiquement inapte au combat, d’ailleurs. Or tout pays qui se respecte doit disposer de forces armées opérationnelles. N’est-ce pas le cas des membres de l’UE ?

G. R. — Pensez-vous que les États occidentaux devraient se montrer plus fermes vis-à-vis du président Poutine ?

M. K. — Les leaders occidentaux doivent se comporter à l’égard de Poutine d’une manière qui corresponde aux intérêts des États dont ils ont la charge et la responsabilité. Quant à la Russie, elle doit régler ses propres problèmes elle-même, en mobilisant le potentiel créatif de son peuple, et non en demandant à des pays étrangers de lui servir de sponsors, de nounous ou de précepteurs.

G. R. — Que ferez-vous à votre sortie de prison ? Envisagez-vous de recommencer une carrière dans les affaires ? Songez-vous à vous lancer dans la politique ? Ou bien avez-vous d’autres projets ? Et avez-vous l’intention de quitter la Russie ?

M. K. — Je ne reviendrai pas dans les affaires. Et je ne partirai pas de Russie.

En m’envoyant en prison et en m’ôtant ce qui m’appartenait, le pouvoir m’a forcé à devenir à plein temps un acteur de la vie sociale et politique du pays. J’ai l’intention de consacrer ma vie à aider la Russie à occuper une place digne dans le monde. J’ai déjà annoncé le lancement de plusieurs projets philanthropiques et sociaux (14). C’est de cela que je m’occuperai quand je serai à l’air libre.


La rédaction de Politique Internationale tient à remercier Maria Ordzhonikidze, directrice du centre de presse de Mikhaïl Khodorkovski, pour les efforts qu’elle a déployés afin de rendre cet entretien possible dans des conditions que l’on devine très particulières...


===Notes===

(1) Arrêté le 25 octobre 2003 et emprisonné depuis cette date, Mikhaïl Khodorkovski avait été condamné, en mai 2005, à neuf années de prison. En appel, en septembre, la sentence a été réduite à huit ans. Même si cette confirmation signifie son transfert vers une colonie pénitentiaire éloignée de la capitale, ses recours ne sont pas épuisés. Il a jusqu’à mars 2006 pour déposer plainte auprès de la Cour suprême de Russie et de la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière juridiction n’est pas liée à l’Union européenne, mais au Conseil de l’Europe, dont la Russie fait partie. Elle peut donc contraindre la Russie à rejuger un condamné si elle estime que son procès n’a pas respecté les droits de la défense.

(2) Voir les résultats détaillés de ce sondage au : http://levada.ru/press/2005091401.html

(3) En 1598, à la mort du tsar Fedor, fils d’Ivan le Terrible, démarre ce qu’on appellera le “ temps des troubles ”. Le beau-frère de Fedor, Boris Godounov, lui succède, mais les premières années du XVIIè siècle sont marquées par une série de désastres : une terrible sécheresse provoque une famine épouvantable ; des bandes de pillards apparaissent dans tout le pays ; divers prétendants au trône, soutenus par les Polonais, contestent le pouvoir du tsar. Boris meurt en 1605. La Russie, envahie par l’armée polonaise, doit également faire face à des incursions suédoises. Mais, en 1612, une armée populaire levée par le prince Pojarski triomphe des Polonais. Les Suédois reculent également. Moscou est reprise en octobre et Michel Romanov est élu tsar. La stabilité est de retour : les Romanov dirigeront la Russie pendant 300 ans.

(4) Le 19 août 1991, dans une URSS en pleine délitescence, apparaît un “ Comité d’État pour l’état d’urgence ” dirigé par les chefs de plusieurs organes “ de force ” (Défense, Intérieur, KGB). Commandé par des hiérarques communistes conservateurs, ce Comité se donne pour objectif de restaurer les prérogatives du centre mises à mal par les leaders des Républiques constitutives de l’Union, au premier rang desquels Boris Eltsine, président de la République de Russie. L’armée entre à Moscou. Mais face à la contestation populaire, les putschistes hésitent. Les Moscovites sortent en masse dans les rues et se rassemblent autour de la Maison Blanche, siège du gouvernement de Boris Eltsine. Ce dernier appelle ses concitoyens à la résistance. Le 21 août, la majeure partie des forces armées s’est rangée aux côtés du président russe. Le putsch échoue, précipitant la fin de l’URSS. Celle-ci sera effective quatre mois plus tard.

(5) Voir le site du centre de presse de Mikhaïl Khodorkovski : www.khodorkovsky.ru

(6) Depuis 1996, les gouverneurs des 89 sujets de la Fédération de Russie étaient élus au suffrage universel. Mais, en septembre 2004, Vladimir Poutine — expliquant que la tragique prise d’otages de l’école de Beslan (Ossétie du Nord) nécessitait de renforcer les structures du pouvoir — a décidé que, dorénavant, les gouverneurs ne seraient plus élus, mais nommés par le centre.

(7) Le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) est le descendant direct du Parti communiste d’Union soviétique. Il est dirigé par Guennadi Ziouganov, candidat malheureux aux élections présidentielles de 1996 (battu au second tour par Boris Eltsine) et de 2000 (Vladimir Poutine élu dès le premier tour). En mars 2004, c’est un autre candidat, Nikolaï Kharitonov, qui a porté les couleurs du KPRF à la présidentielle. Sans plus de succès, puisque Vladimir Poutine a été une nouvelle fois élu dès le premier tour. À la Douma issue des élections législatives de décembre 2003, le KPRF ne dispose plus que de 47 sièges (alors qu’il en comptait plus du double lors de la législature précédente, de 1999 à 2003).

“ Rodina ” (La Patrie) est un parti nationaliste de gauche (il prône une redistribution plus juste des richesses tout en tenant un discours qui insiste sur la grandeur de la Russie) créé quelques mois avant les législatives de 2003 et dirigé par l’économiste Sergueï Glaziev et l’ancien représentant spécial du président de la Fédération de Russie pour la région de Kaliningrad, Dimitri Rogozine. Cette formation a recueilli 9 % des suffrages aux législatives et occupe aujourd’hui 37 sièges à la Douma. Sergueï Glaziev a également été candidat à la présidentielle de mars 2004, où il s’est classé troisième derrière Vladimir Poutine et Nikolaï Kharitonov, avec 4,3 % des voix.

(8) Mikhaïl Khodorkovski fait ici référence aux deux principaux partis démocratiques russes, Iabloko (la Pomme, un acronyme des noms de famille de ses fondateurs) et SPS (l’Union des forces de droite). Après avoir joué un rôle relativement important dans les années 1990, ces deux partis sont en net recul depuis le début de l’ère de Vladimir Poutine : aux dernières élections législatives, en décembre 2003, aucun des deux n’a réussi à obtenir les 5 % de voix nécessaires pour entrer à la Douma. Et à la présidentielle de mars 2004, ni Iabloko ni le SPS n’ont présenté de candidat, jugeant que le scrutin serait faussé. Une ancienne dirigeante du SPS, Irina Khakamada, s’est toutefois présentée en candidate indépendante. Elle n’a rallié que 3,8 % des suffrages. Depuis, elle a fondé son propre parti, “ Notre choix ”.

(9) Le 1er août 2005, Mikhaïl Khodorkovski a publié une tribune libre dans le journal russe Vedomosti, intitulée “ Levyi povorot ” (“ Virage à gauche ”). Il y a expliqué en détails pour quelles raisons il estimait que la population russe allait soutenir des idéaux de gauche, en se fondant notamment sur les résultats d’un sondage récent publié par l’institut d’études indépendant du célèbre sociologue Youri Levada : en particulier, 97 % des Russes se disent favorables à la gratuité de l’enseignement ; et 93 % estiment que les retraites ne doivent pas être inférieures au seuil de pauvreté. Voir le texte en anglais de cet article à l’adresse suivante : http://www.mosnews.com/column/2005/08/01/vedomostitext.shtml

C’est suite à la publication de cet article que Mikhaïl Khodorkovski a été transféré d’une cellule de quatre détenus à une cellule de seize.

(10) Quelques mois avant la présidentielle de juin 1996,Guennadi Ziouganov, le chef du Parti communiste — qui présentait un programme que l’on pourrait qualifier de socialiste, dans la mesure où il n’entendait pas revenir sur la propriété privée et l’économie de marché — semblait assuré de la victoire. Tous les sondages le donnaient largement en tête lui promettaient un succès électoral. Le président sortant, Boris Eltsine, affaibli par des ennuis de santé et par un bilan fort mince, ne paraissait pas capable d’inverser la tendance. Mais, au cours des premiers mois de l’année 1996, le pouvoir a utilisé toutes les “ ressources administratives ” (c’est-à-dire les divers moyens de pression — médias, clientélisme, intimidations) à sa disposition pour garantir la victoire de Boris Eltsine. Celui-ci obtient 35 % des voix au premier tour, contre 32 % pour Ziouganov et 14 % pour le “ troisième homme ”, le charismatique général Alexandre Lebed. Entre les deux tours, Lebed se rallie à Eltsine, qui finit par triompher, au terme d’un scrutin entaché de nombreuses irrégularités, avec 54 % des suffrages.

(11) Dans le même article que nous avons cité dans la note (9), Mikhaïl Khodorkovski est revenu sur le soutien que le milieu des affaires — et lui-même en particulier — avait accordé à l’époque à Boris Eltsine. Il y explique que, quelques mois avant le scrutin, les principaux businessmen du pays s’étaient adressés à Eltsine et à Ziouganov en leur proposant un plan audacieux : Eltsine resterait le président de la Russie tandis que Ziouganov deviendrait premier ministre. Mais les deux camps ont rejeté cette proposition. Les hommes d’affaires se sont alors alliés à Boris Eltsine pour lui permettre de battre son adversaire. Une alliance que Mikhaïl Khodorkovski qualifie aujourd’hui d’“ erreur historique de la démocratie russe ”.

(12) La Russie dispose d’un fonds de stabilisation alimenté par la manne pétrolière. Il s’élèverait à plusieurs dizaines de milliards de dollars. L’État garde cette somme en réserve pour, selon les termes du ministre des Finances, Alexeï Koudrine, “ ne plus jamais se retrouver en situation de défaut de paiement ” comme ce fut le cas en 1998, quand seule une brutale dévaluation du rouble avait permis au pays de surmonter une violente crise financière.

(13) Alexei Khomiakov (1804-1860) était l’un des chefs de file du mouvement slavophile, qui désirait recentrer la Russie sur ses origines slaves et orthodoxes tout en étant fasciné par l’héritage culturel européen.

(14) Mikhaïl Khodorkovski a lancé, en 2001, l’organisation publique “ Otkrytaia Rossia ” (Russie ouverte), qui se donne pour but d’aider à la formation de la société civile, notamment en aidant les détenus mais, aussi, les philosophes et les poètes. Voir le site : http://openrussia.info

                "...Aujourd'hui il est matériellement plus difficile pour moi de m'exprimer mais j'ai acquis le droit moral de le faire..."


M. Khodorkovsky dans la colonie pénitencière de Krasnokamensk

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